Depuis quelques mois, la question de l'impact environnemental du numérique figure à l'agenda politique et législatif. Le gouvernement a publié l'automne dernier sa feuille de route pour faire converger transitions numériques et écologiques. Puis le Sénat a adopté, le 12 janvier dernier, une proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique. Dernière étape en date : le projet de loi contre le dérèglement climatique, qui s'inspire des travaux de la Convention citoyenne pour le climat.
Toutes ces initiatives reposent à des degrés divers sur la promotion d'une sobriété numérique. Le chiffre de 3,7 % des émissions de gaz à effet de serre est avancé, niveau qui pourrait atteindre 7 % des émissions d'ici à 2040 si rien ne change. L'actualité législative nous donne l'occasion de remettre les choses en perspective pour ne pas tomber dans le piège d'un manichéisme opposant numérique et écologie.
Premier constat : la croissance va reposer de plus en plus sur la numérisation de l'économie. Services de plus en plus dématérialisés, e-commerce, nouveaux usages, le numérique cumule innovation de produit (le smartphone, les data centers), de procédé (digitalisation de l'expérience client) et organisationnelle (le télétravail) propres aux révolutions industrielles. Tenter de limiter ou de réduire ce processus est illusoire. Imaginer se passer du numérique, ou même l'enfermer dans des quotas, serait comparable à tenter de priver le monde d'électricité comme dans « Ravage », le célèbre roman de René Barjavel.
Trois enjeux
Nous sommes a contrario pleinement conscients de l'enjeu environnemental et climatique global. Notre secteur, comme les autres, se doit de réduire ses externalités négatives. Mais de quoi parle-t-on exactement ?
L'empreinte environnementale du numérique est encore mal connue du fait de l'absence de méthodologie de calcul communément partagée. Sa définition est le tout premier enjeu. Deuxième enjeu : pouvoir développer des services technologiques bas carbone et durables grâce notamment à la conception d'infrastructures moins consommatrices d'énergie et des composants plus durables. Troisième enjeu : la sensibilisation de l'utilisateur qui doit mobiliser l'école, l'enseignement supérieur et l'entreprise, tant l'adjectif dématérialisé rime encore trop avec illimité...
Face à cette problématique majeure, nous nous mobilisons fortement. De nombreuses initiatives ont été développées en ce qui concerne les objectifs de neutralité carbone d'ici à 2030. Grâce aux nouvelles technologies, à l'IA et l'informatique quantique, nous serons ainsi en mesure de développer des schémas de modélisation de l'empreinte environnementale. Car il s'agit de ne pas condamner l'innovation sous prétexte de sobriété.
Externalités négatives
Sachant que tous ces enjeux vont bien au-delà du secteur numérique proprement dit. L'initiative Planet Tech'Care l'illustre parfaitement. Cette plateforme, soutenue par le ministère de la Transition écologique et le secrétariat d'Etat chargé du Numérique, rassemble près de 300 signataires - entreprises de tous secteurs, acteurs de la formation, acteurs publics - qui veulent réduire leur empreinte environnementale. En signant le manifeste, tous s'engagent à la mesurer pour réduire l'impact négatif de leurs produits et services numériques.
Ce n'est pas tant de sobriété numérique que d'un numérique responsable dont nous avons besoin.
En sens inverse, il faut bien avoir en tête que le numérique a un impact positif sur l'environnement même si ces externalités positives n'ont pas encore été précisément mesurées. Via l'exploitation des data, il assure le suivi précis de l'utilisation des ressources naturelles, notamment agricoles. Utiliser des objets connectés dans les villes permet de maîtriser davantage la consommation énergétique. La réduction de la mobilité que permet le télétravail est en soi une sobriété énergétique. Il faut donc raisonner en termes de solde.
La réduction de notre empreinte écologique n'est qu'un des aspects d'un problème plus global tant le numérique peut optimiser la conception des politiques écologiques et l'innovation numérique servir aussi à l'écologie. Ce n'est pas tant de sobriété numérique que d'un numérique responsable dont nous avons tous collectivement besoin.
Godefroy de Bentzmann est président de Syntec Numérique.